Présenté par Catherine Roy, vice-présidente de W3Québec  et consultante.

Quelques informations préalables

Les personnes handicapées

  • Plus d’un million de Québécoises et de Québécois (15% de la population)
  • Des retards importants en matière d’éducation
  • Des obstacles à l’intégration en emploi
  • Une situation économique préoccupante
  • De nouveaux enjeux en matière d’accès à l’information

Lorsqu’on parle d’accessibilité aux TIC

  • Plusieurs définitions du terme «accessibilité» qui vont de la connectivité aux moyens économiques
  • Accessibilité «universelle» qui repose sur des notions d’interopérabilité, de compatibilité et d’accessibilité
  • Accessibilité spécifique aux personnes handicapées qui repose également sur un respect de normes techniques

En ce qui concerne ce dernier point, il faut comprendre que c’est un champ assez complexe et que ça demande une certaine connaissance des besoins d’adaptation des personnes handicapées et des connaissances techniques de base au niveau des normes à appliquer. On ne peut pas s’improviser dans ce domaine.

Le W3C a développé, via son programme Web Accessibility Initiative (WAI), des normes d’accessibilité pour les sites Web (Directives pour l’accessibilité des contenus Web 1.0) et a créé diverses ressources pour supporter les intervenants du domaine. Ces normes, développées consensuellement au niveau international, touchent à divers aspects (compréhension, perception, navigation, mise en forme, etc.). Une version 2.0 est en chantier actuellement qui vise à rendre ces normes plus faciles à comprendre et qui vise une application à plusieurs technologies (et non seulement le HTML).

Cette accessibilité vise à ce que :

Les technologies et les contenus soient utilisables par les personnes handicapées, peu importe leurs incapacités ou les moyens d’adaptation employés pour pallier celles-ci.

Par exemple, l’utilisateur peut avoir accès et utiliser du contenu Web quel que soit l’interface ou le mode de connexion utilisé (lecteur d’écran, afficheur braille, fureteur texte, commande vocale, etc.).

Faisons la comparaison avec l’accessibilité architecturale. Pour assurer l’accessibilité d’un édifice par exemple, on doit respecter un certain nombres de standards afin d’assurer que les personnes handicapées puissent y avoir accès, s’orienter et circuler et utiliser l’ensemble des équipements mis à la disposition du public.

On pourrait dire que le Web est un environnement en quelque sorte et qu’on doit respecter un certain nombres de règles et appliquer des normes afin d’assurer un accès pour tous à cet environnement.

Lorsqu’on parle de gouvernement en ligne

  • Informations et services en ligne
  • Équipements et matériel informatiques
  • Télécommunications
  • Bref, tous les contenus et technologies utilisés par le gouvernement, ses ministères et organismes

Ces précisions sont importantes car cela a des incidences directes sur les travailleurs handicapés dans la fonction publique québécoise. Plusieurs de ces travailleurs, qui ne sont déjà pas nombreux, sont déjà aux prises avec des choix technologiques qui ne sont pas compatibles avec leurs besoins d’adaptation.

Le contexte québécois

  • Efforts de modernisation de l’administration publique et la prestation de services publics depuis la fin des années 1990
  • Démarches récentes du gouvernement québécois :
    • Plan de modernisation, rapport Gautrin, groupe de travail sur le développement de Services Québec, entente avec le Nouveau-Brunswick)
  • Révision de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées (projet de loi 56)

Attardons-nous un peu sur la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées. Cette loi, adoptée en 1978, vise à assurer les droits des personnes handicapées à plusieurs niveaux (emploi, services de santé, transport, éducation, etc.) et a créé l’OPHQ pour agir à titre de «chien de garde» et voir à la coordination des services. La loi a cruellement besoin d’être mise à jour depuis longtemps mais chaque tentative de révision significative a échoué jusqu’à maintenant.

Lors du dernier exercice de révision de la loi l’année dernière (projet de loi 155), une nouvelle obligation avait été proposée à l’effet que les ministères et organismes publics se dotent d’une politique pour l’accès aux informations et services publics, selon les ressources disponibles. Cette proposition était plutôt faite dans une perspective d’une meilleure disponibilité de médias substituts (braille, audio, interprétariat, etc.) et aucune mention n’était faite de technologies. Ce projet de loi est disparu dans un vortex politique lors des dernières élections provinciales.

Toutefois, en juin 2004, le gouvernement libéral a déposé un nouveau projet de loi (56) à l’intérieur duquel on retrouve de nouveau cette proposition. De plus, on propose une nouvelle obligation en matière d’approvisionnement gouvernemental de biens et de services accessibles. Cette proposition est très intéressante (bien qu’elle soit accompagnée de réserves) et on verra tantôt que plusieurs pays ont déjà adopté ce genre de mesures. Donc, un dossier important à suivre…

Étude 2003 sur l’accessibilité de sites Web de langue française au Québec et au Canada

  • Réalisée par la Fondation des aveugles du Québec
  • 200 sites de langue française (800 pages)
  • Évaluation des respects des normes d’accessibilité développées par le W3C
  • Dans l’ensemble, 84% des sites évalués sont classés FAIBLE à NUL

Actuellement, il n’y a aucune obligation pour l’accès aux services et informations publics en ligne. Certains efforts ont été faits dans les dernières années, dont des rencontres d’information de WebÉducation (un service du MRCI) et on a inclut quelques consignes volontaires dans le Cadre de référence des webmestres gouvernementaux mais les résultats de l’étude démontrent que c’est nettement insuffisant.

50 sites du gouvernement du Québec (200 pages)

  • Le sous-groupe classé 10e sur 17
  • 94% des sites évalués classés FAIBLE à NUL ; 6% classés BON
  • Erreurs les plus fréquentes : Erreurs de programmation (99%); Images, zones, boutons sans équivalent textuel (93%); caractères trop petits (92%); contenus ou fonctions inutilisables sans javascript (85%), etc., etc.
  • Pour en savoir plus :http://www.accessibiliteweb.com/quebec.htm 

Une 2e édition de cette étude est en cours et 75 sites du gouvernement du Québec seront évalués. Les résultats doivent paraître au début de 2005 et sont attendus avec impatience.

Aperçu des stratégies d’ailleurs

En Amérique du Nord

  • Le Canada a adopté en mai 2000 les Normes et directives sur la normalisation des sites Internet (NSI) et s’est donné une politique en matière d’approvisionnement accessible
  • L’Ontario a adopté la Loi de 2001 sur les personnes handicapées avec des obligations en matière d’accessibilité de sites Web publics et d’approvisionnement
  • Les États-Unis ont depuis 1991 le ADA et depuis 2001 la Section 508

Au Canada, les Normes et directives sur la normalisation des sites Internet (NSI) s’appliquent à toutes les informations et à tous les services publics en ligne du gouvernement fédéral. Les normes NSI contiennent 4 standards et 2 guidelines spécifiquement sur l’accessibilité aux personnes handicapées, dont le premier standard stipule que le contenus doivent se conformer au niveaux 1 et 2 des Directives pour l’accessibilité des contenus Web 1.0. Le Canada s’est aussi doté d’une politique en ce qui concerne l’approvisionnement de biens et services accessibles et a développé une trousse en ligne pour supporter les ressources.

L’Ontario ne réfère pas à des normes spécifiques pour l’accessibilité des informations en ligne mais stipule que c’est obligatoire à moins que ce ne soit pas techniquement possible.

Les Américains sont très connus pour leur législation en matière de discrimination, adoptant le Americans with Disabilities Act en 1991 et la Section 508 du Rehabilitation Act en 2001. La Section 508 engage le gouvernement fédéral à des obligations très sévères en matière d’approvisionnement de toute technologie à son usage et à celle du public. La réponse du marché pour répondre à ces exigences et des poursuites judiciaires très publiques avec certaines grandes entreprises ont contribué à changer de manière significative le paysage du Web américain.

Ailleurs dans le monde

Plusieurs pays se sont donnés des obligations en matière d’accès au gouvernement en ligne, dont le Royaume-Uni, l’Italie, la Belgique, la France, l’Australie, etc.

Regardons de plus près le cas de la France car ils viennent tout juste d’adopter en juin dernier la Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées dans laquelle on oblige de rendre les services en ligne de l’État accessibles aux personnes handicapées. Ça concerne l’accès à tout type d’information sous forme numérique quels que soient le moyen d’accès, les contenus et le mode de consultation. On réfère aux normes développées par le W3C.

Les Français sont au début du processus alors ce sera intéressant de voir comment ils vont s’y prendre pour répondre aux objectifs tant au niveau des pratiques à instaurer, des réponses à apporter pour la formation et le soutien technique des ressources que des corrections à apporter à tout ce qui existe déjà. BrailleNet, importante organisation en France, a proposé un plan d’action à ce sujet mais il faudra voir les choix qui seront faits.

Des pistes de solutions

Bien que les travaux sur l’accès au gouvernement en ligne, la cybercitoyenneté, etc., soient relativement bien amorcés au Québec, en ce qui concerne les enjeux spécifiques aux personnes handicapées, on est au début des réflexions. Un organisme ayant travaillé de façon importante dans le domaine est le CAMO pour personnes handicapées. Le CAMO a d’ailleurs soumis un mémoire sur l’accès au gouvernement en ligne à Monsieur Gautrin dans le cadre de la préparation de son rapport (M. Gautrin a repris certaines recommandations). On retrouve dans ce mémoire un certain nombre de conditions de base qui doivent être respectées pour assurer une prestation électronique de services publics accessible.

Au niveau législatif et politique

  • Obligation explicite du gouvernement d’assurer l’accessibilité de l’ensemble des stratégies et mesures sur le gouvernement en ligne
  • Adoption de normes claires sur l’accessibilité tant au niveau des contenus et des technologies qu’en ce qui concerne l’approvisionnement
  • Adoption d’un plan d’action concerté sur l’implémentation de mesures d’accessibilité

Au niveau opérationnel

  • Création de programmes d’information et de formation pour les resources affectées au développement du gouvernement en ligne
  • Mesures de soutien aux ressources communautaires concernées par l’accès et la fracture numérique

Au niveau du suivi

  • Des mécanismes permettant d’encadrer la démarche (impliquant donc l’ensemble des acteurs concernés, notamment les utilisateurs)
  • Des obligations d’évaluer les stratégies mises en place et de rendre publics les résultats de ces évaluations

Autres considérations

  • Un meilleur accès aux technologies de l’information et aux technologies d’adaptation pour les personnes handicapées
  • Un meilleur soutien à la R&D dans le domaine au Québec
  • Une plus grande implication du Québec dans le domaine de la fracture numérique associée au handicap

N’oublions pas que, malgré le potentiel énorme que représentent les technologies pour le développement de l’autonomie des personnes handicapées, elles y ont souvent le moins accès, étant parmi les populations les plus pauvres au Québec. Beaucoup d’entre-elles n’ont donc pas les moyens de se payer un ordinateur, Internet, etc., et encore moins les technologies d’adaptation souvent très dispendieuses dont elles pourraient avoir de besoin pour pallier leurs limitations. Les programmes d’aide à ce niveau ne suffisent pas, les délais peuvent souvent s’avérer très problématiques.

La recherche dans ce domaine fait aussi cruellement défaut au Québec. Certaines organisations commencent à s’y intéresser mais en général, cela s’avère très spécialisé et les milieux communautaires et associatifs ont difficilement accès aux fonds très limités pouvant supporter ces initiatives. D’ailleurs, Communautique vient tout juste de déposer auprès de l’Office des personnes handicapées du Québec et du Secrétariat du Conseil du trésor une proposition de recherche comparative sur l’accessibilité de divers modèles de prestation électronique de services publics afin de pouvoir outiller le gouvernement dans son initiative. C’est à suivre…

Enjeux

Pour les personnes handicapées

  • Accès à l’information
  • Accès à la cybercitoyenneté
  • Accès à l’emploi dans la fonction publique
  • Participation à la société du savoir

Pour la société

  • Exclusion d’un segment important de la population (incluant la population vieillissante)
  • Retard important sur la question de l’accès aux technologies qui prend de l’ampleur de jour en jour et qui exigera un rattrapage plus important et plus coûteux

Opportunités

  • Relativement tôt dans le processus
  • Certaines expertises dans le domaine existent déjà ou sont en émergence au Québec, d’autres gagnent à être développées
  • Une communauté internationale importante à intégrer, un leadership à prendre dans la francophonie
  • Des développements politiques et juridiques ; des occasions à saisir !

Conclusion

Nous avons un retard important au Québec sur toute la question de l’accès aux TIC et aux informations et services publics en ligne pour les personnes handicapées. Mais ce qu’il faut comprendre c’est que nous n’avons pas le choix, il nous faudra prendre ce virage de l’inclusion technologique, comme cela s’est fait ailleurs. Il est préférable d’agir maintenant car plus nous attendons, plus ce sera compliqué… Il faut saisir les opportunités qui s’offrent à nous aujourd’hui.

Catherine Roy, consultante