Volume 2, numéro 1, novembre 1999
Le milieu communautaire a depuis toujours une relation particulière avec les moyens de communication en général et les médias d’information en particulier.
Les différents moyens de communication sont autant d’outils à sa disposition afin de soutenir leur action. Les groupes ont toujours été très imaginatifs dans la recherche des moyens et des outils supportant leurs démarches, et ils ont en général de grands producteurs en matière d’outils de communication. Quand il s’agit de se faire entendre, ils n’hésitent pas à sortir les bannières, les tracts, les banderoles, à faire signer des pétitions ou à faire des «opérations-fax».
Pourtant, les médias traditionnels (presse et télévision surtout), ne donnent pas souvent au milieu communautaire toute l’attention ou la couverture qu’il mériterait.
Internet et le web n’échappent probablement pas à cette logique. Néanmoins, quelques expériences d’action communautaire via Internet méritent d’êtres soulignées, témoins du potentiel que réservent les inforoutes aux groupes populaires et communautaires.
Nous verrons dans ce CommInfo deux visions différentes de l’approche d’Internet par les groupes communautaires, à travers le «vécu virtuel» de Pierre-Yves Serinet, co-coordonnateur à Solidarité Populaire Québec (SPQ) et de Jean-Guy Aubé, responsable du Calendrier Militant. Merci à eux, ils nous donnent un certain éclairage, intéressant l’action et la concertation communautaire via Internet. En espérant que vous pourrez mieux vous forger une opinion sur la question de l’action et de la concertation via Internet.
À voir aussi le site consacré à l’Opération salAMI à propos de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement.
Bonne lecture! :-)
Sommaire:
- Rencontre avec Pierre-Yves Serinet, co-coordonnateur à SPQ
- On se souvient….(l’AMI)
- Entrevue avec Jean-Guy Aubé, responsable du Calendrier Militant
Rencontre avec Pierre-Yves Serinet, co-coordonnateur à SPQ
Solidarité Populaire Québec (SPQ) est un regroupement populaire dans tous les sens du mot. Communautique a rencontré Pierre-Yves Serinet, co-coordonnateur à SPQ afin de voir comment Internet pouvait appuyer l’action d’un regroupement, reconnu pour être très actif au niveau de la mobilisation et de la concertation.
SPQ a quinze ans. Depuis quand utilisez-vous Internet comme outil d’action communautaire?
Je travaille à SPQ depuis un peu plus d’un an. J’ai été en mesure néanmoins de constater qu’Internet n’était pas un outil utilisé fréquemment à SPQ, si ce n’est pour accéder à certains documents gouvernementaux par rapport auxquels nous avions à réagir. L’usage du courriel était un peu plus répandu, mais encore là, à ma connaissance, pas pour les fins de notre mission, c’est-à-dire pour nos membres. Aucune liste des courriels de nos membres, ou sympathisants, (plus de 800 au total, tous ne disposant pas de courriel par contre), n’avait été systématisée. La chose est maintenant faite. Si plusieurs groupes disposent de courriel, on n’en est pas toujours informé.
Le courrier électronique offre deux avantages important pour un regroupement. Il favorise une circulation rapide de l’information et il permet de réduire certains coûts, notamment ceux liés à la poste et aux appels interurbains. Ceci vaut également pour les groupes membres, car ceux-ci peuvent épargner des coûts d’impression par fax, les documents étant imprimés en fonction de leur pertinence. Voilà pour le volet économique.
Parlons un peu des usages liés à la concertation et l’action communautaire. Comment le courriel peut-il soutenir ces actions?
Pour l’instant, nous en sommes à l’étape d’une utilisation à des fins de circulation d’information. Encore là, il reste beaucoup de travail à abattre afin de systématiser nos listes par courriel: nous n’avons pas l’adresse de tous nos membres, quoique nous soupçonnons que tous en ont une. Nous sommes aussi à l’étape de nous assurer que ceux qui reçoivent nos documents (en pièce-jointe) peuvent effectivement les lire. Non seulement tout le monde ne dispose pas d’un courriel, mais encore tous n’utilisent pas le même logiciel, ce qui reste un obstacle majeur. Bien sûr, envoyer le contenu des documents à l’intérieur du message résout le problème, mais souvent nos documents exigent une mise en forme.
Cela relève tout simplement, à mon avis, de la nécessité de consolider notre image «institutionnelle» (mot galvaudé s’il en est un!) et le sentiment d’appartenance des membres à la coalition (ce qui est fondamental pour une coalition comme la nôtre). Il est donc très difficile d’être certain à 100% que les messages attachés se rendent. Nous en sommes actuellement à l’étape de sonder quel format est le plus pratique pour la majorité. Entre autres, le format PDF (Acrobat) est sans doute le meilleur, mais malheureusement nous n’avons pas les moyens de se payer le logiciel de création au moment où l’on se parle…Pour répondre directement à votre question, nous n’en sommes pas rendu à penser le courriel comme un lieu de débat ou de concertation. La stratégie de communication dans ce sens est encore trop jeune. Pour l’instant, c’est un moyen d’information (encore déficient).
Est-il efficace de se servir d’Internet pour envoyer une pétition, un communiqué, un bulletin,…? Si oui, à quelles conditions?
En ce qui a trait à notre bulletin de liaison (Info-SPQ), son envoi par courriel cause encore problème (comme souligné dans le point précédent). Il est néanmoins disponible sur notre site web, bien que de ce fait, il perd son format original avec les effets secondaires qui en découlent. Encore là, lorsqu’on se dotera des outils nécessaires (comme Acrobat), il sera possible pour les visiteurs (autant les membres que la population en général), de télécharger le document tel qu’il apparaît originalement. Il faut préciser que le site de SPQ en est un de contenu. Aussi, le fait que le contenu de notre bulletin s’y trouve satisfait pour l’instant notre préoccupation que l’information circule. D’ailleurs, c’est par le biais de Info-SPQ que circulent entre autres les pétitions et autres outils de pression (lettre-type, etc.). Aussi, les visiteurs sur le site n’ont qu’à récupérer le contenu, se l’approprier et le mettre dans leur mot (lorsqu’ils ont le temps), le mettre en forme à leur manière (en ajoutant souvent leur logo d’organisation), et l’acheminer à la cible identifié. En ce sens, si nous réussissions à mettre notre bulletin en PDF, nous le laisserons toujours en html afin que les intéressé-e-s puissent le récupérer à leur guise. Évidemment, on n’a pas de contrôle sur si nos membres connaissent suffisamment Internet pour savoir qu’ils peuvent faire tout simplement un «copier-coller». À mon sens, plus de formation à cet égard est nécessaire.
Évidemment, le fait de pouvoir copier nos documents peut causer problème car quelqu’un de mal intentionné pourrait décider de les modifier. La stratégie est bonne pour les pétitions, lettre-type, et autres, mais pour nos documents «institutionnels», où l’on retrouve nos positions collectives officielles, il y a des risques dont on est conscient… Mais il semble que tout le monde est dans le même bateau à cet égard: personne n’y échappe…
En ce qui concerne les communiqués, ils sont aussi sur notre site Internet (encore à titre d’info pour les membres). Mais ce qui est plus intéressant à débattre, c’est comment utiliser Internet ou le courriel pour faire parvenir nos communiqués aux médias, à moindre coût que par Telbec ou par Fax. À première vue, cela serait fort pratique mais j’avoue ne pas savoir comment m’y prendre, et crois qu’il y a toujours une incertitude quant aux façons de fonctionner des médias: Ont-ils tous intégré les nouvelles technologies afin de gérer l’information, ou s’accrochent-ils toujours au Telbec, ou sont-ils en transition comme nous? Je n’ai pas de réponse à ces questions, et tant que je n’en ai pas, nous continuerons à utiliser Telbec, quoique évidemment, à cause des coûts, on doit limiter cet usage. Internet nous permettrait de faire savoir nos opinions et positions beaucoup plus souvent.
Depuis quand SPQ a t-il un site, que pensez-vous accomplir en terme de visibilité et quel public voulez-vous rejoindre?
Le site existe depuis le 25 octobre 1999. Il est destiné tant aux membres qu’à la population en général (ceux et celles qui ont les «moyens» de participer à cette «démocratie virtuelle»…) Vous savez sans doute que SPQ se veut un lieu de concertation, de réflexion et d’analyses communes, d’une part, d’un lieu d’action commune d’autre part, et finalement un lieu de sensibilisation et d’éducation populaire. Les trois dimensions sont interreliées, mais les deux dernières renvoient plus particulièrement à ce que SPQ veut être: un mouvement de masse. Aussi, il est clair que par Internet, entre autres, nous visons à faire atterrir les débats sociétaux dans la population.
Évidemment, il peut arriver un moment où une information à nos membres n’est pas pertinente pour la population dans son ensemble. Le site Internet n’est donc pas le meilleur moyen pour circuler TOUTE l’information auprès de nos membres. Le courriel reste important à cet égard. Déjà on le voit, certains Info-SPQ, de mémoire le dernier de juin 1999, n’est d’aucun intérêt pour le public large puisqu’il s’agit de décisions internes à SPQ. Il faudra donc éventuellement peaufiner notre stratégie et discerner nos documents selon le public visé…
On trouve sur le site le bulletin SPQ, que plusieurs groupes reçoivent par télécopieur. Qu’est-ce qui vous pousse à en faire une version disponible sur le Web?
Par mes propos antérieurs, on peut le deviner très bien: couper les coûts, rendre plus agile la circulation de l’information, et rendre le bulletin disponible à un plus grand public possible. Un fait non négligeable: puisque nous envoyons le Info-SPQ à plus de 800 groupes, cela bloque un ordinateur pour au moins 3 jours, sans compter qu’il faut ensuite reprendre les envois échoués. Beaucoup d’énergie et temps de travail perdu pour ce faire. Un élément aussi que j’avais oublié: SPQ est une coalition qui rassemble nombre de regroupements nationaux, qui eux-mêmes ont des membres.
On suggère à ces regroupements qu’ils diffusent le Info-SPQ dans leur propre réseau. Dès lors qu’ils doivent le faire à partir d’un fax papier, souvent avec une lisibilité réduite, «à la mitaine» de surcroît, il est compréhensible qu’ils ne le font pas toujours (c’est ce qui explique entre autres que nous avons une liste d’envoi de plus de 800 groupes, plusieurs desquels sont membres d’un regroupement ou d’un autre). Aussi, s’il disposent d’une copie électronique du Info-SPQ (par courriel), cela facilitera grandement la multiplication du Info-SPQ dans les réseaux.
Sous la bannière SPQ en campagne, vous menez différentes actions de mobilisation et concertation. Quel public voulez-vous joindre? Dans un monde idéal, en quoi un tel forum pourrait servir à faire avancer les dossiers que vous jugez importants?*
Sous cette bannière, nous voulons sensibiliser, informer, former, et inviter la population large (de laquelle fait évidemment partie nos membres et sympathisants), à poser des gestes. Internet est un premier espace, lequel informe de d’autres espaces d’information. Pour ce qui est du forum, nous visons à créer des espaces de débats, souvent absents à cause du rythme effréné de la société. Les débats sont la base de toute action collective. Mais avant le débat, il faut disposer d’information, et souvent de formation. Tel est le but visé par le médium Internet, ce qui ne peut que contribuer à notre mission de transformation sociale. Concrètement, dans un monde idéal comme vous dites, il est à souhaiter que cette section puisse permettre à la population d’être informée sur les enjeux de société, mais surtout qu’elle puisse se les approprier. Dans un monde comme le nôtre, où l’information circule plus rapidement que jamais, il semble que personne n’arrive à s’approprier de l’information en vue d’une transformation sociale. Voilà, dans un monde idéal, ce que l’on vise par le site Internet de SPQ, et par le forum, que les gens puissent mettre à l’épreuve leur appropriation des enjeux sociaux en échangeant, en débattant, etc. Il est bon de mentionner, car tes questions ne m’amènent pas à le faire, que le site Internet de SPQ est loin d’être parfait.
Beaucoup de choses restent à faire, mais bon, c’est déjà un début.
D’une façon plus générale, comment voyez-vous l’arrivée d’Internet pour et dans le milieu communautaire et populaire?
Comme quelque chose de très positif, mais beaucoup de boulot reste à faire à différents niveaux. Il faut s’assurer que la population s’approprie des techniques d’utilisation d’Internet et de courriel. Internet ouvre de nouvelles portes à la démocratisation, mais pour l’instant tant l’accès limité à Internet comme la façon de l’utiliser restent à consolider. Il est cependant inquiétant, et c’est une réflexion qu’il reste à faire, que Internet, par le fait que ce médium permet la participation virtuelle à des processus qui se veulent démocratiques, puisse devenir un outil de manipulation et de construction virtuelle de légitimité de ceux qui, encore une fois, détiennent les cordons de la bourse et ont les moyens de pousser très loin les possibilités de ce médium. Par exemple, il peut être inquiétant qu’un organisme canadien, et j’ai un cas concret en tête, procède par Internet à une consultation large sur un thème donné, et se serve ensuite de cette consultation pour donner de la légitimité au message qu’il veut porter. Une «société civile globale», virtuelle de surcroît, est à mon humble avis, une société civile faible, déracinée des relations sociales, facilement manipulée, qui risque de venir légitimer un ordre social, national ou mondial, construit par d’autres et sur lequel elle n’a pas nécessairement d’emprise.
Propos recueillis par Philippe Tousignant
On se souvient…(l’AMI)
En mai 1998, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) annonçait que l’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) ne serait pas ratifié par les pays membres, ceux-ci n’arrivant pas à s’entendre. Plusieurs associations, groupes communautaires et populaires du monde entier ont eu à cet égard un rôle déterminant à jouer. Attac en France, le «Council of Canadians» et plus près de chez-nous Alternatives, furent parmi les pionniers qui utilisèrent Internet afin de déboulonner un des plus grand projet marchand de la mondialisation. Il existe sur Internet plusieurs témoignages de réseaux créés qui encore aujourd’hui mènent une veille et informent le milieu sur les questions liées aux grands accords commerciaux.
Opération salAMI
Tél.: (514) 982-6606 poste 7000
Courriel: salAMI@colba.net
Dossier de presse virtuel salAMI
http://www.chez.com/krako/autre/deso/salami.html
Entrevue avec Jean-Guy Aubé, responsable du Calendrier Militant
Le calendrier militant regroupe une série d’activités militantes: manifestations, conférences, occupations, activités bénéfices de groupes populaires etc… Il a été créé en 1997, lors d’une des dernières réunions du «réseau de résistance au néoliberalisme», un groupe d’appui à la lutte des autochtones zappatistes. Ce réseau avait une liste de diffusion par courriel afin de permettre à ses membres de communiquer entre eux, d’échanger des informations et des opinions. Le réseau a mené une consultation sur les revendications zappatistes à travers un certain nombre de petits groupes communautaires à l’époque. De ce réseau, il reste maintenant la liste nothingness et le calendrier militant.
La liste nothingness a un nombre d’abonnés qui fluctue entre 100 et 150 personnes qui peuvent être autant des individus que des groupes communautaires. On y diffuse toutes sortes de communiqués de groupes, tant en anglais, en français qu’en espagnol. Curieusement, une bonne partie de nos abonnés sont situés en France, ce qui contribue a créer un pont virtuel entre les militants des deux côtés de l’Atlantique, alors que notre réseau fût a l’origine constitué au Québec, dans le cadre du soutien international à la lutte zappatiste.
Vu l’origine du réseau, le calendrier et le trafic sur le réseau nothingness concernent principalement des activités de solidarité internationale et de solidarité avec les autochtones. Mais toutes les activités des exclu-e-s et marginalisé-e-s de notre société sont bienvenues.
En utilisant une liste de distribution, pensez vous qu’il faille distinguer les nouvelles internationales des nouvelles locales afin de ne pas «envahir» les boîtes courriel d’informations trop générales?
On peut procéder ainsi. Cela dénote toutefois une étroitesse d’esprit et une absence de vision globale. On peut faire des sous-listes linguistiques, ou thémathiques, mais une personne peut être intéressée à plusieurs thèmes ou être compétente dans la compréhension de plusieurs langues. Je dois vous avouer que les gens qui s’abonnent à une liste de distribution et se plaignent ensuite qu’ils reçoivent trop de courriel, me font un peu rire.
Les gens doivent apprendre eux-mêmes à gérer leur courriel. Avec l’augmentation des abonnés sur le net, le volume de courriel ne pourra que s’accroître dans l’avenir. Il existe un moyen très simple de se débarrasser des messages que l’on ne veut pas: il suffit de faire «delete» et ne conserver que les informations qui sont dans notre champ d’intérêt, au lieu de passer son temps à se plaindre du trop grand volume de courrier.
Comment récoltez-vous vous même l’information que vous diffusez?
J’ai un réseau de contacts dans les groupes communautaires et populaires qui me font parvenir leurs informations dans ma boîte de courriel ou par la poste.
Par le bouche à oreille, il arrive souvent que des gens d’organismes dont je n’ai jamais entendu parler m’envoient des activités ou communiqués à mettre au calendrier ou à diffuser sur la liste. Je suis aussi à l’affût des émissions d’informations sur les radios communautaires de Montréal.
Partout où je passe, lorsque je vois une activité d’intérêt militant, je prends des notes pour alimenter le calendrier.
Le calendrier militant est-il disponible en autre format (fax, site web…)?
En partie il est disponible sur le site web du refuge global de Radio-Canada. C’est M. Charles Trahan de l’émission Macadam Tribus qui s’occupe de faire la version sur le web. J’envoie par courriel mon calendrier à cette personne et il se charge de l’insérer sur son site. Bien entendu, cette version n’inclut pas les envois quotidiens du calendrier qui annoncent les événements qui me sont parvenus à la dernière minute.
Comment voyez-vous l’arrivée des NTIC dans les groupes communautaires?
Au risque de vous décevoir, je crois que ces techniques font surtout l’affaire des vendeurs de logiciels et d’ordinateurs. Ceux-ci ont d’ailleurs une politique d’obsolescence planifiée de leurs produits: lorsqu’ils mettent en vente un ordinateur ou un logiciel, ils ont toujours en réserve un produit plus perfectionné avec une ou deux fonctions de plus, qu’ils mettent en marche au compte-goutte de manière à inciter toujours davantage la vente de leurs produits. Peu de gens sont conscients d’être ainsi manipulés par ces techniques de mise en marché.
On veut toujours avoir le produit dernier cri, on s’émeut des poursuites contre Microsoft, mais tout cela, ce ne sont que des balivernes pour nous empêcher de penser aux questions fondamentales, à la mission première du groupe dans lequel on milite. La surinformation est tout aussi dommageable que l’absence d’information.
Ça peut être une nouvelle forme de gros jouets pour certains responsables des groupes, la continuation des trains électriques ou des jeux Nintendo dont on se servait lorsqu’on était plus jeune. Quand on a peu de culture politique, on «trippe» sur les nouvelles fonctions des logiciels…, les nouveaux services étoiles de Bell, les nouveaux ordinateurs et autres gadgets… Je dirais même que c’est une forme d’inculture pour camoufler le vide de sa pensée, son absence de vision politique et sociale, sa confusion idéologique. :-)
Plus sérieusement, je considère bien sur que ce sont des outils qui peuvent être efficaces si l’on sait s’en servir. En soi, le développement technologique est excellent. C’est son appropriation par les monopoles privés capitalistes qui pose problème.
Croyez-vous que l’arrivée des NTIC dans les groupes va faciliter la concertation et l’action communautaire?
La concertation, je ne sais pas. La concertation dépend d’abord de la volonté politique des groupes d’y participer et non pas des moyens de communication utilisés.
Ce n’est pas les techniques de communications électroniques qui font faire en sorte que tel groupe ne veut pas participer à la démarche de tel autre, qui vont empêcher les rivalités entre les groupes, les chicanes de clochers, les conflits de personnalités ou les divergences politiques entre les intervenants de différents groupes. Les techniques de communications sont des outils, ils ne changent pas la nature humaine.
Pour moi, le courriel et les sites web servent surtout à diffuser de l’information de base et établir un premier contact avec un groupe. On peut échanger certaines informations via les nouvelles technologies, mais il y a des choses que ces techniques ne pourront jamais faire: Par exemple: ce n’est pas par Internet que l’on pourra régler le problème de la faim dans le monde ou de la désertification au Sahel.
Par courriel, on peut annoncer un projet de coopération internationale dans un pays en émergence, on peut envoyer son CV pour y participer, mais finalement, ça prendra toujours des gens sur le terrain pour creuser un puit qui amènera l’eau potable dans le village africain en question.
Croyez vous que ces nouvelles technologies sont utilisées principalement à des fin de diffusion? de concertation?
Je pense que les nouvelles technologies de l’information sont efficaces au niveau des communications. Comme premier contact, on peut s’échanger des documents et les lire à l’avance pour être mieux préparé à une réunion, mais pour qu’il y ait concertation, ça prendra toujours la présence des êtres humains autour d’une table.
De plus, comme ce n’est pas tout le monde qui a la formation nécessaire pour maîtriser ces techniques, elles pourraient avoir l’effet pervers de rendre le savoir, et donc le pouvoir, entre les mains d’une élite technocratisée encore plus petite à l’intérieur des groupes et de la population en général. Les nouvelles technologies peuvent apporter une aide à la décision, mais ces décisions devraient toujours se prendre démocratiquement à l’intérieur des groupes.
On se gargarise avec la révolution de l’Internet, mais la réalité, c’est que 80% des habitants de la planète n’ont pas encore accès à une ligne téléphonique.
Quels outils de communication sur Internet peuvent actuellement servir le milieu communautaire (liste de diffusion, web, courriel…)?
Le W3 a l’avantage de présenter un groupe de façon accessible 24 heures par jour, mais la multiplication des sites webs, même avec les outils de recherche par mots clefs, fait en sorte qu’un site peut être très difficile à trouver. Lorsqu’on cherche une information sur un sujet ou un groupe et que l’outil de recherche nous dit qu’il y a 3583 sites sur ce sujet, c’est quand même fastidieux de trouver le bon site. Si on a déjà l’adresse du site, c’est qu’on est déjà en contact avec le groupe en question.
Les listes de diffusion donnent une information instantanée, et facilement remise à jour. La liste de diffusion interne d’un groupe permet de rejoindre les membres pour les consulter et diffuser de l’information.
Il y a toutefois un obstacle financier à l’accessibilité: les groupes communautaires de personnes assistées sociales qui ont de la difficulté à payer leur loyer et leur nourriture n’ont pas la capacité financière de prendre un abonnement à un serveur Internet et d’avoir une adresse électronique. Ces techniques peuvent donc entraîner une nouvelle forme d’exclusion. Dans ce cas, le rôle de l’État est de rendre ces moyens de communications accessibles à tous et toutes.
Est-il efficace de se servir d’Internet pour envoyer une pétition, un communiqué, ou autre?
De plus en plus de gens le font. Ces moyens de communications sont un premier contact avec une problématique donnée, mais il restera toujours à l’être humain à faire l’effort pour aller plus loin dans la démarche.
Des groupes communautaires comme le Comité Chrétien des droits humains en Amérique Latine diffusent leurs actions urgentes par courriel à un réseau étendu de personnes. Ces actions urgentes sont des campagnes de lettres à envoyer aux élus canadiens et aux chefs d’ États étrangers concernant, par exemple, un massacre effectué par l’armée ou un groupe paramilitaire dans un pays donné.
Amnistie Internationale utilise depuis longtemps le courrier traditionnel et maintenant le courriel pour informer et faire pression en faveur de la libération de prisonniers d’opinion dont ils ont adopté le cas. Pour moi, le fax et le courriel sont dans ces cas des compléments aux moyens de communication plus traditionnels.
Pour ce qui est des communiqués, il arrive souvent que des journalistes s’adressent à moi par courriel pour rejoindre un groupe communautaire. Je peux citer l’exemple des deux jeunes canadiennes du réseau de solidarité internationale «Salut! Le Monde» qui avaient été expulsées du Mexique l’an dernier. Une recherchiste de la radio de Radio-Canada a communiqué avec moi pour pouvoir entrer en communication avec elles afin de traiter cette information dans leurs bulletins de nouvelles. Les groupes qui m’envoient leurs communiqués n’ont souvent pas les moyens de se payer un TELBEC. Donc, je sers souvent de relais entre ces groupes et les journalistes qui sont sur ma liste de courriel.
Certains journalistes m’ont donné leur adresse électronique personnelle pour que je leur envoie des communiqués qu’ils ne reçoivent pas nécessairement dans la salle de rédaction de leur journal.
Pour les bulletins d’informations des groupes je pense que le courriel se prête mal à des documents trop longs. Il est préférable alors de les envoyer par la poste ou de les rendre disponibles sur le site w3 du groupe pour que les gens s’en fassent une copie imprimée.
Pour recevoir le calendrier militant, envoyez un message à :
Propos recueillis par Caroline Gord, le 10 novembre 1999
Rédaction : Philippe Tousignant et Caroline Gord
Correction : Caroline Gord
Recherche : Philippe Tousignant et Nicolas Trudel