Jean-François Aubin, coordonnateur de la Démarche de revitalisation, ÉCOF-CDEC de Trois-Rivières 

Je ne pense pas qu’on peut aborder la question des technologies, ni du gouvernement en ligne sans poser les questions plus larges, de société. Ce n’est pas une question technique, ni technologique mais une question de société. La première question lorsqu’on parle de gouvernement en ligne c’est, quel gouvernement ? Ici, je ne suis pas dans la politique partisane mais dans quel type de gouvernement . Si nous parlons d’un gouvernement pour tous, pour chaque citoyen et citoyenne, déjà on vient de mettre une couleur au gouvernement en ligne. On vient aussi de faire un lien avec le développement local parce que la participation de tous ça se passe nécessairement au niveau local. Il ne s’agit pas de tout centraliser mais d’être capable de rapprocher les choses des gens, d’où ils habitent. À ce titre, si on veut que ce soit le gouvernement de tous, il y a beaucoup de travail à faire.

Commençons par la question de l’accès aux technologies. Je vais vous donner un exemple. Dans les quartiers où on travaille, qui sont des quartiers en situation de pauvreté à Trois-Rivières, il y a de plus en plus de personnes, parce qu’elles n’arrivent pas avec le peu d’argent qu’elles reçoivent de la sécurité du revenu, qui décident de ne plus avoir le téléphone. On ne parle pas d’avoir un ordinateur mais de ne plus avoir le téléphone!!! C’est la situation concrète de beaucoup de personnes. Cela fait partie de la réalité quand on parle de technologie. Je pense que si on veut favoriser une démocratisation au niveau technique, on n’a pas le choix de développer un réseau consolidé, intéressant et stable de points d’accès publics Internet. Un jour ou l’autre, il faudra qu’on y arrive. Actuellement ce sont des initiatives à gauche et à droite, des gens qui tentent de faire vivre ça du mieux qu’ils peuvent à bout de bras. Mais ce n’est pas solide, ça demande du soutien et on doit aller de l’avant pour permettre ça car l’exclusion sur la base technologique va demeurer pour encore un bon bout de temps. Il faut qu’on fasse un contrepoids à ça.

L’autre type de travail à faire concerne ce que j’appellerais globalement «l’accès culturel». Là encore, on a affaire à une question technologique mais aussi à une question de société. Parlons de gouvernement sans parler de gouvernement en ligne. Il y a beaucoup de services gouvernementaux qui sans être en ligne, ne sont pas accessibles aux citoyens et aux citoyennes compte tenu de la façon dont ils sont organisés. Ils le sont pour certains standards qui correspondent plus à la classe moyenne de notre société, des gens qui sont habitués à chercher, à trouver, à se débrouiller et à savoir quoi faire quand on leur répond si vous voulez tel service, appuyez sur le 1 et qui ont la patience d’attendre pour finir par parler à une personne. Il y a toute une série de freins à l’utilisation des services qui font que beaucoup de gens, au-delà du gouvernement en ligne, sont découragés et ne tentent même plus d’utiliser les services gouvernementaux.

Il y a un travail de rapprochement, d’accessibilité culturelle à faire et on comprendra que c’est d’autant plus valable si on parle de gouvernement en ligne. Il faut que le gouvernement en ligne quand on le pense, quand on le développe, qu’on ne le fasse pas juste en fonction d’une partie de la société mais qu’on le développe d’une façon plus large. Et ça je pense qu’il y a plusieurs façons de le faire et une des façons c’est de ne pas tout centraliser. Il faut laisser la place à des projets qui vont se rapprocher des gens. Je pense, par exemple, au portail Arrondissement.com, des outils dans lesquelles les gens vont se reconnaître et qui vont, à travers ça, donner accès aux services gouvernementaux en ligne. Il faut qu’il ait du travail d’arrimage de fait entre quelque chose qui est près des gens avec quelque chose de moins près, comme les services gouvernementaux. Je pense qu’il y a un travail important à faire de ce côté là.

Dans l’accès culturel, je donne un autre exemple, c’est souvent quelque chose, pour une partie de la population, qui fait encore peur les nouvelles technologies. Je sais que je ne parle pas à la bonne clientèle mais pour certains, c’est encore vu comme un peu magique, on n’ose pas toucher au clavier de l’ordinateur, on a peur de tout casser. On a un projet dans notre coin qui s’appelle «Je cliquedans mon quartier», ça consiste à aller chez les gens avec un portable pour faire les premières initiations de base à Internet en utilisant et en montrant les ressources de la communauté notamment. Ça permet aux gens de s’approprier tranquillement l’utilisation d’Internet et après cela de pouvoir utiliser les points d’accès publics Internet… car même aller dans un point d’accès public parfois c’est une barrière culturelle pour certaines personnes. Il faut donc parfois travailler en préalable pour que les gens s’y rendent et qu’ensuite ils soient à l’aise et qu’ils puissent fonctionner là dedans.

L’autre question que je veux aborder, c’est que parler de gouvernement en ligne, ce n’est pas seulement parler de services en ligne mais aussi de démocratie. On peut minimalement s’entendre pour dire que la démocratie c’est quelque chose qui vise à favoriser la participation du plus grand nombre. Et la participation ce n’est pas juste de dire, je mets quelque chose là, débrouillez-vous, servez-vous-en. La participation c’est d’offrir différentes façons de faire les choses. Cela ne peut se faire sans un travail d’animation citoyenne. Oui la technologie, oui il y a beaucoup de choses à réfléchir là dedans mais si on a une priorité, cela devrait être le travail d’animation citoyenne à faire avec les gens pour voir qu’est-ce qu’on fait avec ces outils là, comment on travaille avec ça ? Et ça, malheureusement cela vient toujours en dernier. On pense, par exemple, à développer un portail gouvernemental mais il ne reste plus de sous ensuite pour l’animation citoyenne pour que les gens apprennent à se débrouiller là dedans ou à faire des liens. Il faut le voir parce qu’il y a une fracture numérique, qui est basée, disons le, sur un non partage des richesses dans notre société.

Il y a également une question de mesures transitoires. De fait à l’école il y a quand même des avancées. Mes enfants qui sont à l’école primaire savent se débrouiller beaucoup plus facilement avec Internet que les adultes avec qui je travaille. Cela nous pose un dilemme: Ou bien on choisit de sacrifier un «paquet de monde» en misant seulement sur les jeunes (des fois c’est le genre de réflexion qui ce fait sans qu’on ose le dire) ou bien on dit «non, les gens ont leur importance». Il y a une phase de transition et il faut en tenir compte et cette dimension déborde la fracture numérique, cela touche des gens de différentes conditions sociales.

Quand je parle d’animation citoyenne, je ne parle pas seulement d’accès, je parle aussi des différentes utilisations. Je parle de production de contenu. Il y a un défi de s’approprier la production de contenu. Est-ce que l’Internet et le gouvernement en ligne, ne seront que de la consommation de services ? C’est une question importante. Est-ce qu’on est capable de dépasser ça, d’aller plus loin ? Est-ce que ça peut être un outil pour faire valoir notre point de vue de citoyen, de citoyenne ? Est-ce que ça peut être un outil d’apprentissage etc. ? Un projet intéressant parmi beaucoup d’autres, au Centre St-Pierre, ils ont développé un outil présentement sur DVD mais qui j’espère sera en ligne bientôt, qui permet aux organismes de faire un plan de communication assisté avec des gens qui travaillent dans le domaine. Donc une combinaison de technologies et d’animation citoyenne à travers ça…on travaille sur du contenu.

Si on veut que la population s’approprie et utilise le gouvernement en ligne, ça va aller de pair avec l’appropriation et l’utilisation de services communautaires de base, au premier niveau. On travaille actuellement avec un projet d’échange local de services. Les gens s’échangent gratuitement toutes sortes de services. Du troc de services si on veut. Et bien ce genre de projet là peut très bien être soutenu par du travail en ligne. Mais il faut faire du travail d’animation à travers ça, il faut habituer les gens à ça, ça ne se fait pas du jour au lendemain.

Au niveau des petites entreprises, très localement, ça aussi c’est important. Au niveau des très petites entreprises locales, ce qu’il y a est encore souvent très peu adapté. On leur offre la planète alors que ce qu’ils vendent c’est juste accessible au niveau de la ville ou même au niveau du quartier. Il y a un problème là. C’est pas vrai qu’ils vont pouvoir livrer à Hong Kong. Il faut adapter les choses pour les projets à petite échelle.

Je dirais aussi qu’un facteur important c’est le respect du rythme des populations. C’est quelque chose qui s’établit progressivement et il y a déjà beaucoup d’avancées mais il faut prendre le temps que tout ça s’installe progressivement. Quand on va trop vite, on provoque de l’exclusion parce que l’utilisation d’Internet, qui est un outil merveilleux, peut aussi créer de l’exclusion supplémentaire. Le rythme auquel on le fait et comment on le fait est un facteur important pour déterminer si on va créer de l’exclusion supplémentaire ou non. Il me semble qu’on en a déjà assez d’exclusion dans notre société sans en ajouter. On peut faire attention.

Je vous donne un exemple de progrès dans lequel Communautique a joué un rôle important: il y a seulement 5 ou 6 ans, une grande majorité d’organismes communautaires n’utilisaient pas encore Internet. Aujourd’hui, cette situation est de plus en plus rare, Internet est beaucoup plus utilisé. Beaucoup de gens ne lisent pas leurs courriels mais ça, c’est une autre histoire!

Je dirais aussi que de plus en plus, il faut permettre la construction de projets collectifs par le biais de l’outil Internet. Par exemple dans mon travail de développement local, nous avons développé un projet de service de garde et le projet s’est pratiquement tout construit via des échanges Internet. On a sauvé beaucoup de temps. Au niveau des comités de citoyens, on vise à en arriver là. Mais il reste un pas à franchir, c’est encore un défi. On s’aperçoit qu’il demeure quand même des étapes où on doit se rencontrer en face-à-face. L’humain ne disparaît pas derrière la technologie, la technologie et l’humain doivent cheminer ensemble.

Je dirais donc en conclusion qu’il faut mettre la priorité sur l’animation citoyenne à travers l’Internet et que ça va venir «pousser» de l’avant la technologie. Parce que le jour où ce sont les gens qui disent regardez, il y a telle limite et on doit la dépasser, je pense que c’est là que les choses se développent. Moi, comme utilisateur d’Internet, je questionne tous les ministères toutes les fois que j’ai un formulaire à remplir et qu’il n’est pas en ligne et que je dois l’imprimer. Je me dis comment ça se fait que ce formulaire n’est pas en ligne ? À force de se le faire dire, ils finissent par le mettre en ligne. Je pense que c’est un peu la même chose avec les citoyens et les citoyennes. Il faut donc pousser pour que l’utilisation soit là, les gens vont questionner puis la technique va suivre dans ce sens là. Merci.