Volume 3, numéro 1, Novembre 2000
Introduction
Le 20 octobre 2000 se tenait à Montréal le colloque Internet dans la société ou la société dans Internet organisé par le CIRASI, Collectif interdisciplinaire de recherche sur les aspects sociaux d’Internet. Communautique était invité à participer à la première table ronde sur le thème Internet dans la société: technologie, appropriation et citoyenneté. Les questions lancées : Suffit-il simplement d’être branché pour que l’on puisse parler d’un accès démocratique aux technologies de communication et des conditions nécessaires à la réalisation de cet objectif? Quels sont les enjeux, les défis et les leurres de l’appropriation technologique? Voici repris dans le cadre de ce Comm’Info, la présentation de Communautique.
Le monde communautaire et Internet : l’accès public au cœur des préoccupations
Au fil des ans, les groupes communautaires ont eu à subir les développements technologiques. Subir, parce que pour la majorité cela représente un défi permanent de vouloir s’approprier des technologies dont les développements n’ont pas de limite, alors que les ressources humaines, matérielles et financières ont elles, des limites certaines. Pourtant plusieurs groupes ont fait et continuent de faire des prouesses et démontrent une ingéniosité incroyable pour adapter ces nouveaux outils à leur mission et aux besoins des populations qu’ils rejoignent. Ainsi, de la Gestetner à Internet, il y a eu tout un chemin parcouru.
Depuis quelques années, les groupes communautaires du Québec s’approprient la télématique : ils se forment, ils tentent d’intégrer Internet à leur travail quotidien, ils développent des projets, ils s’interrogent et réfléchissent sur la façon de lier ces nouveaux développements à leur mission et à leurs services, tout en leur gardant une dimension humaine, qui est au cœur de leurs préoccupations. De plus, de nouveaux groupes communautaires, comme Communautique naissent avec pour mission spécifique l’appropriation sociale et démocratique des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Ainsi, au cours des dernières années, l’équipe de Communautique a parcouru le Québec pour offrir des activités de formation aux organismes communautaires, deux enquêtes sur l’appropriation des TIC ont été réalisées et diverses expérimentations ont été et sont encore faites afin de développer l’accès public.
La question de l’accès est donc traitée ici sous un angle très concret, soit celui des expériences de Communautique dans ce domaine.
Le Café Communautique a été notre première expérimentation d’accès public. L’approche adoptée consistait à offrir à des petits groupes de personnes des activités d’initiation et de familiarisation en partant du principe, que pour s’approprier ces nouvelles technologies il fallait offrir une animation et faire un travail d’éducation qui permettrait aux personnes d’abord d’apprivoiser l’ordinateur, et ensuite la télématique et découvrir Internet et le courrier électronique. Ces activités se sont déroulées dans l’Est de Montréal, dans les laboratoires de La Puce communautaire et ont permis de rejoindre un grand nombre de personnes qui en étaient à leur premier contact avec l’ordinateur. Nous avons aussi travaillé avec deux bibliothèques d’Hochelaga-Maisonneuve et animé des activités au sein de groupes communautaires,
Par la suite, il y a eu le projet pilote « courrier.qc.ca » du gouvernement du Québec qui souhaitait offrir une adresse de courrier électronique à tous les Québécois. Les groupes communautaires ont insisté pour que le projet intègre un volet éducatif, essentiel à son succès. C’est ainsi que diverses activités d’initiation se sont déroulées dans 6 groupes des quartiers Centre-sud et Hochelaga-Maisonneuve ainsi qu’à Baie-Comeau. Communautique offrait ses propres activités d’inscription, d’initiation au courrier électronique et à la navigation. Le projet a rencontré différents obstacles. Mais un des acquis important c’est qu’il a démontré l’importance de ce travail d’animation et de formation. Au fil des mois, certaines personnes initiées à la télématique grâce au projet avaient développé des habitudes et étaient des usagers assidus des périodes d’accès libre et accompagné. Ainsi, des personnes âgées, des personnes sans emploi et beaucoup de femmes ont fréquenté ces activités.
En fait, nous avons relevé plus de 800 présences aux activités de Communautique dans le cadre du projet courrier.qc.ca.
Mais l’accès public, est-ce vraiment une préoccupation largement partagée dans le milieu communautaire?
Avant d’aller plus loin, il est peut-être nécessaire de se questionner sur l’intérêt qu’accordent les groupes communautaires à l’appropriation des TIC. Nos données les plus récentes sont éloquentes, les groupes communautaires du Québec veulent faciliter l’accès aux TIC :
- Plus de la moitié (53,5%) des répondants de l’enquête menée auprès de groupes à travers le Québec, affirment mettre déjà leurs équipements à la disposition des personnes qui fréquentent l’organisme.
- De plus, 62% des répondants affirment être intéressés à développer des points d’accès. Cette proportion atteint entre 72% et 80% chez les groupes répondants du Saguenay-Lac St-Jean, de la Mauricie, du Bas St-Laurent et de l’Estrie.
Cela nous confirme dans nos actions récentes qui portent précisément sur le développement de l’accès à l’intérieur même des groupes communautaires en tentant de les intégrer aux pratiques.
Le projet Inforoute – points d’accès – Initiation de la population
Depuis le printemps 2000, Communautique s’est engagé dans un nouveau projet, à la fois vaste et à la fois modeste, le projet Inforoute – points d’accès – Initiation de la population. Ce projet consiste à mettre en place et animer 50 points d’accès à Internet dans 50 groupes communautaires de différentes villes du Québec : Amos, Rimouski, Mont-Joli, Trois-Rivières, Hull, Sherbrooke, Magog, Québec et 4 arrondissements de Montréal : Centre-Sud/Plateau, Sud-Ouest, Rosemont Petite-Patrie et Est. Chacun de ces points d’accès est constitué en général, d’un poste installé dans les locaux d’un groupe communautaire où, trois fois par semaine, un animateur ou une animatrice offre à deux personnes une activité d’initiation adaptées aux connaissances de départ des personnes. Ainsi, des équipes de deux animateurs, préalablement formés par Communautique, parcourent leur région ou arrondissement afin d’animer des activités d’initiation aux TIC.
Les groupes où sont situés les points d’accès oeuvrent dans une multitudes de champs d’action tels éducation populaire, alphabétisation, loisir, emploi, familles, lutte contre le décrochage scolaire, toxicomanie, santé mentale, violence conjugale, HLM, coopérative d’habitation, etc.
Au cours de ces activités, des personnes n’ayant jamais touché à un ordinateur se voient initiées à l’informatique suffisamment pour être en mesure de naviguer sur Internet et d’utiliser le courrier électronique.
De l’accès pour qui?
Qui sont ils et qui sont elles ? Des personnes sans revenus ou à faibles revenus, des personnes âgées, des jeunes de différents groupes d’âges, des résidants et résidantes de HLM et de coopératives, des femmes cheffes de famille monoparentale, des personnes analphabètes ou en voie d’alphabétisation, des personnes ayant des problèmes de toxicomanie, des autochtones, des personnes de différentes communautés culturelles, des nouveaux arrivants, des personnes ayant des déficiences intellectuelles, des personnes avec des problèmes de santé mentale, jeunes artistes marginaux et même » ex-squiggi « .
Les participants et participantes vivent différentes réalités, des situations problématiques sur plusieurs plans en même temps : sans revenu ou à revenus modestes, souvent peu scolarisés et souvent sans emploi. Ils et elles se voient très souvent isolées et beaucoup arrivent dans les groupes avec très peu de confiance en soi et dans leurs capacités d’aborder l’ordinateur et Internet. Dans certains groupes, on rejoint principalement des nouveaux arrivants qui doivent souvent faire face à plusieurs défis en même temps : intégration, apprentissage du français et recherche d’emploi.
De l’accès pourquoi?
Puisque les personnes viennent librement, les motivations sont très grandes . Pour plusieurs, c’est une question de fierté et de dignité, elles souhaitent être en mesure de dire à leurs enfants » Je sais comment ça fonctionne ! » . Beaucoup de mamans souhaitent ainsi apprendre et être en mesure de comprendre ce que leurs enfants apprennent à l’école. Les motivations sont donc multiples, la curiosité ou la quête de savoir pour certaines, et pour d’autres, la recherche d’une information précise, une passion personnelle ou encore simplement apprendre à se servir de l’ordinateur et découvrir les possibilités d’Internet.
Les participants et participantes affirment retirer beaucoup de satisfaction personnelle. Pour plusieurs personnes, c’est un premier contact avec l’ordinateur, les activités leur permettent d’apprivoiser l’ordinateur et encore plus, elles acquièrent de nouvelles connaissances et sont en mesure d’utiliser les services Internet et le courrier électronique. Tout cela, se fait dans un climat de confiance, chaleureux, propice à l’échange et où on s’occupe d’elles. Elles acquièrent ainsi, une plus grande confiance en soi et certaines soulignent que ces nouveaux apprentissages contribuent à réduire le fossé entre les générations.
Ces nouvelles connaissances, ces habiletés nouvellement acquises, cette confiance en soi se répercutent de façon très visible dans plusieurs organismes.
Parmi les exemples rapportés par les animateurs et animatrices, celui d’une participante en alphabétisation de Montréal est très éloquent. Un groupe a décidé de créer des groupes d’intérêts pour encourager les personnes à découvrir Internet. Nouvellement initiée à Internet, une participante en alphabétisation s’est vue confiée la responsabilité, avec le soutien adéquat, d’accompagner un de ces groupes créé autour d’un intérêt commun : La Marche mondiale des femmes en l’an 2000. Cette personne s’est vue ainsi valorisée, reprendre confiance en soi et conduite à accepter de nouvelles responsabilités dans l’organisation de la Marche dans son quartier. Ce qu’elle a accompli avec enthousiasme.
Des participants et participantes de Trois-Rivières affirment ressentir un très gros sentiment d’appartenance au monde de l’informatique et de la communication électronique qui sont très présentes de nos jours. Par ce projet, ils se sentent beaucoup plus aptes à comprendre et discuter de l’information technologique reçue tous les jours par quelque moyen de communication que ce soit.
Les personnes âgées trouvent que l’Internet peut être un point de contact entre leur génération et celle de leur petits-enfants ou un outil de communication avec des personnes qu’elles n’ont pas vu depuis très longtemps. Leur motivation est donc très grande et certaines manifestent même de l’intérêt pour des outils comme le chat ou les forums.
Nous considérons que l’accès public prend ainsi tout son sens, intégré à l’action et au quotidien des groupes communautaires, rejoignant ceux et celles jusque là exclus de ces profonds changements .
Les conditions de base pour un accès démocratique : équipements, ressources, services adéquats et formation
Or, au Québec, ces conditions sont loin d’être remplies pour bon nombre d’organismes communautaires et de citoyens et citoyennes à faible revenu. Il s’agit là donc d’un défi inévitable auquel bon nombre d’acteurs doivent d’abord se consacrer pour permettre l’appropriation des TIC.
Plusieurs moyens ont déjà été mis en place pour favoriser l’accès. Le gouvernement fédéral a développé différents programmes, entre autres, VolNet qui vise à brancher le secteur bénévole et le Programme d’accès communautaire soutenant la création de points d’accès publics. Le Québec de son côté, par différents programmes, a permis à des groupes communautaires de s’équiper et de réaliser certaines expériences novatrices. De plus, il a lancé son programme Brancher les familles et a encouragé l’accès via les bibliothèques publiques.
Cependant, les citoyens et citoyennes à faibles revenus demeurent encore trop souvent laissés pour compte. Les ressources qui permettent un accès public gratuit ainsi que la formation nécessaire pour favoriser une appropriation réelle demeurent très rares.
Les groupes communautaires ont largement manifesté leur volonté de favoriser l’accès aux TIC et d’en faire des outils pour l’action communautaire. Bien que les conditions ne soient pas toutes réunies, les groupes agissent tout de même. Certains bricolent des labs à partir d’équipements divers et d’autres utilisent toute leur débrouillardise pour aller chercher les ressources humaines et matérielles nécessaires.
Le défi est donc énorme, il s’agit de mettre en place ces ressources et de voir à ce qu’elles soient durables à long terme.
Développer l’accès communautaire et l’animation du milieu demande l’élaboration de politiques et l’allocation de ressources suffisantes pour une action structurée. Il est également indispensable que des ressources soient consacrées au soutien des activités de concertation et d’échange nécessaire à l’appropriation des TIC et au développement de nouvelles pratiques et de nouveaux contenus. Enfin, cette appropriation repose pour beaucoup sur les initiatives de groupes comme Communautique ayant au cœur de leur mission l’appropriation sociale et démocratique des technologies de l’information et de la communication, il y a nécessité que les gouvernements reconnaissent cette action et y allouent les ressources adéquates.
Références
Le site du Colloque Internet dans la société ou la société dans Internet
Rédaction : Ginette Richard et Francine Pelletier