Communication présentée lors de l’atelier Femmes et PoliTIC au CDÉACF, le 8 février 2002
Sommaire
- Présentation
- La lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale : le moteur du développement de l’Internet citoyen
- Un enjeu majeur : les risques de fracture numérique dans les milieux communautaires!
- De nouvelles pratiques à soutenir et à multiplier!
- Des besoins bien identifiés
- Les perspectives d’action
Présentation
En mai 2001, Communautique réalisait une série de trois rencontres à Montréal, Québec et Trois-Rivières, afin de diffuser et soumettre à la discussion les résultats d’une vaste enquête menée auprès de plus de 450 groupes communautaires à travers le Québec. L’objet de cette enquête : faire le point sur l’état de l’appropriation des technologies de l’information et de la communication (TIC) par les groupes communautaires. Le titre du rapport d’enquête : Le monde communautaire et Internet : défis, obstacles et espoirs.
Les trois rencontres ont permis à certains de découvrir de nouvelles expériences d’utilisation des TIC par le milieu communautaire et d’autres ont pu faire part des difficultés rencontrées, des enjeux identifiés et des moyens à mettre en place pour faciliter une meilleure appropriation des TIC et le développement de nouvelles pratiques. De plus, les discussions de mai 2001 ont fait émerger un projet de plateforme qui rassemblerait les principaux enjeux et les conditions nécessaires au développement de l’Internet citoyen, social ou communautaire au Québec.
Ces conclusions ont conduit Communautique à amorcer un processus qui proposera un avant-projet de plateforme à discuter. Notre intention est de produire un outil qui permettra de mieux définir l’Internet citoyen, les enjeux liés à son développement et les conditions qui lui sont nécessaires. Ce projet souhaite répondre à cette volonté de faire progresser la reconnaissance des efforts déployés à travers le Québec afin de développer un autre Internet, un Internet qui contribuera à renforcer l’exercice de la citoyenneté, qui participera à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
C’est donc le cadre particulier dans lequel se situe la présentation qui suit sur l’enjeu de l’exclusion.
La lutte contre la pauvreté et l’exclusion : le moteur du développement de l’Internet citoyen
L’enjeu de l’exclusion se situe au centre de l’appropriation des TIC par les groupes communautaires ou d’économie sociale. L’action de ces groupes visant les populations les moins nanties déjà victimes de différentes formes de discrimination, les risques d’une marginalisation encore plus grande causée par l’introduction des TIC constituent une préoccupation très présente.
Les données les plus récentes diffusées très largement pour annoncer une démocratisation d’Internet confirment paradoxalement, le rapport très étroit et très frappant entre la fracture numérique et les autres fractures sociales. Les populations les moins branchées demeurent celles ayant les revenus les plus faibles et étant les moins scolarisées et les plus âgées. De plus, les femmes monoparentales constituent une portion importante de cette population.
Données et statistiques sur l’accès
- 33 % des ménages québécois sont branchés
Branchement à Internet selon diverses caractéristiques :
Revenu
- 14,2 % des ménages ayant revenus de moins de 22 446 $
- 27,9 % des ménages ayant revenus de 22 447 $ à 39 999 $
- 43,8 % des ménages ayant revenus de 40 000 $ à 64 999 $
- 63 % des ménages ayant revenus de 65 000 $ et plus
Scolarité du chef de ménage
- 61 % diplôme universitaire
- 12,8 % ét. secondaires non terminées
Sexe du chef de ménage
- 20 % fém. (dont une part importante de ménages monoparentaux)
- 38 % masc.
Ménage avec ou sans enfants
- Oui : 53 %
- Non : 24 %
Âge
- 65 + : 8,4 %
- – 35 : 41 %
Un sondage NETendances 2001, publié par le Cefrio et Léger Marketing en janvier 2002, présentait un portrait de l’internaute type, qui selon ces caractéristiques doit constituer un spécimen relativement rare :
« l’internaute québécois type demeure toujours un homme âgé entre 18 et 24 ans, résidant dans un centre urbain (Montréal ou Québec), ayant complété des études postsecondaires et dont les revenus excèdent 60 000 $ »
Là aussi, malgré l’augmentation globale du taux d’utilisation d’Internet (50 % des Québécois à la fin 2001 comparativement à 34 % en janvier 2000), la fracture numérique se confirme : 54 % des hommes et 44 % des femmes ont utilisé Internet, 73 % des 18-24 ans et 11 % des 65 ans et plus. Ainsi, cette étude fait ressortir un portrait d’internautes mieux nantis, plus instruits, vivant dans les grands centres et non francophones.
Rien d’étonnant alors à ce que les organismes qui rejoignent ces populations les plus susceptibles de se voir exclues, se voient interpellés pour leur offrir un accès à ces nouveaux outils. L’appropriation des TIC est donc abordée par les groupes sociaux, non comme une fin en soi, mais comme un outil de plus à intégrer à leur action visant à briser l’isolement et à accroître la participation citoyenne. Il leur importe de se doter de ce nouvel outil pour la réalisation de projets collectifs, pour les activités d’éducation populaire, pour soutenir et contribuer au développement social, local et à l’action communautaire.
Ces risques d’exclusion associés à l’introduction des nouvelles technologies constituent les préoccupations majeures formulées autant dans les ateliers réalisés pendant l’enquête, que dans les réponses au questionnaire d’enquête ou aux trois rencontres de mai. Quotidiennement, les groupes communautaires reçoivent des personnes confrontées à de plus en plus de situations causées par l’introduction de l’informatique et d’Internet : en tant que parents qui veulent participer à l’éducation de leurs enfants, qui dès leurs premières années à l’école apprivoisent l’informatique et Internet; en tant qu’employés ou personnes à la recherche d’emploi dans un monde du travail où une connaissance minimale de l’informatique devient la norme dans pratiquement tous les secteurs d’emploi; en tant que citoyennes ou citoyens constamment référés à des adresses électroniques ou à des sites Web pour obtenir de l’information, accéder à un service ou exprimer une opinion; en tant que consommateurs confrontés aux guichets automatiques et aux modes de paiement automatisés à l’épicerie ou ailleurs.
Soulignons aussi les efforts déployés par les deux paliers de gouvernements pour développer les inforoutes gouvernementales. En novembre et décembre derniers, des investissements importants ont été annoncés : 100 millions au Québec et plus de 600 millions pour les quatre prochaines années à Ottawa. En l’absence de mesures spécifiques pour favoriser l’accès, notamment en matière d’initiation aux technologies et de formation sur celles-ci, de larges pans de la population risquent de se voir écartés de ces nouveaux modes d’information et de consultations publiques en émergence.
Les groupes sociaux se voient ainsi fortement sollicités pour développer l’accès aux TIC et pour initier des projets afin d’intégrer l’usage des TIC à leurs activités. L’accès aux TIC revêt une importance majeure pour bon nombre d’organismes au Québec qui voient là un enjeu démocratique et un défi de plus à relever dans leur lutte contre l’exclusion et la pauvreté.
Ainsi, l’enquête de Communautique faisait ressortir une nette volonté des organismes communautaires de faciliter l’accès aux TIC et cela, malgré des équipements trop souvent inadéquats : 62 % des répondants à l’enquête de Communautique ont indiqué qu’ils souhaitaient développer un point d’accès public (52 % des groupes de femmes). Dans certaines régions, ce désir est exprimé par 72 % à 79 % des répondants (Saguenay-Lac-Saint-Jean, Mauricie et Bas-Saint-Laurent). De plus, 40 % des répondants affirment mettre déjà leur équipement à la disposition des personnes qu’ils rejoignent (27 % des groupes de femmes).
Un enjeu majeur : les risques de fracture numérique dans les milieux communautaires!
Aux enjeux identifiés pour les populations défavorisées, d’autres défis se posent aux groupes, puisque l’enquête de Communautique a révélé des risques de fracture numérique entre les secteurs d’activités et entre les régions du Québec.
Rappelons que cette enquête a rejoint plus de 450 groupes issus de différents secteurs de l’action communautaire et de la quasi-totalité des régions du Québec. Des groupes de base et des regroupements locaux, régionaux et nationaux, ont répondu au questionnaire ou ont participé à des ateliers de discussion qui ont eu lieu à Québec, Montréal et Trois-Rivières. Les groupes de femmes constituent 63 répondants sur les 458 au total.
De façon générale, la réalité informatique et télématique des organismes communautaires pose des défis majeurs. L’enquête de Communautique a révélé que 94 % des répondants possédaient au moins un ordinateur.
Parmi les groupes de femmes, 9 des 63 groupes (ou 14 %) n’avaient pas d’ordinateur du tout, 15 % n’en possédaient qu’un seul, un Pentium, ce qui indiquerait une informatisation récente.
Sur les 63 groupes du secteur Femmes
- 20 groupes : 1 ordinateur Pentium
- 12 groupes : 2 ordinateurs Pentium
Certaines et certains doivent donc se partager à plusieurs le seul ordinateur, d’autres doivent gérer un parc informatique constitué de modèles de plusieurs générations avec différents systèmes de d’exploitation. Certains (55 %) sont dotés en partie de MacIntosh et en partie de compatibles IBM de différentes générations. Certains disposent d’un réseau interne et d’autres ont un seul ordinateur branché à Internet que tout le monde doit utiliser à tour de rôle lorsqu’il est disponible pour la recherche et le courrier électronique.
- 55 % des répondants disent posséder un parc informatique mixte, c’est-à-dire composé d’ordinateurs de type PC combiné à des MAC ou des ordinateurs PC de toutes générations (du Pentium au 286) ou des MAC de toutes générations (du IMAC au Classic).
- Si l’on considère tous les ordinateurs détenus par tous les répondants, on constate que seulement 49 % du parc global est composé d’ordinateurs que l’on peut qualifier de « récents » de type Pentium ou IMAC. Par opposition, 51 % des appareils de ce parc global peuvent être qualifiés d’au moins « vieillots », surtout lorsqu’on sait que les applications et logiciels Internet sont de plus en plus exigeants et gourmands envers la quincaillerie.
Au défi de gérer une telle réalité informatique, s’ajoutent les contraintes de ne disposer que d’une ou deux lignes téléphoniques, ce qui rend d’autant plus difficile d’intégrer Internet et de faciliter l’accès aux participantes et aux participants du groupe.
Certains secteurs d’activités sont davantage représentés parmi les répondants de l’enquête moins bien pourvus en équipement informatique. Ainsi, parmi les secteurs où l’on compte un ratio employé/ordinateur récent plus élevé, soit de 3 à 5 employés par ordinateur récent, on retrouve les secteurs loisirs, femmes, santé et services sociaux et personnes handicapées.
De plus, comparativement à d’autres, certaines régions semblent moins bien pourvues : Abitibi-Témiscamingue et Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Ainsi, le développement des TIC annonce une fracture parmi les organismes communautaires.
L’introduction des TIC entraîne certaines répercussions sur différents aspects organisationnels dont on commence à percevoir quelques facettes. Les principaux éléments soulignés, lors de l’enquête de Communautique et lors des rencontres de mai 2001, sont : l’augmentation de l’information à traiter, sa validité et sa fiabilité, la réduction du temps de réflexion et de réaction dans les communications, les compétences supplémentaires exigées par l’introduction des technologies de l’information et de la communication.
De nouvelles pratiques à soutenir et à multiplier!
Les rencontres de mai 2001 ont aussi permis aux participantes et aux participants de partager des expériences d’appropriation des TIC en action communautaire.
Et qu’en est-il de la télématique et d’Internet?
- 57 % des répondants possèdent une adresse de courrier électronique
- 24 % des répondants indiquent avoir un site Web
- 63 % des répondants affirment utiliser Internet dans le cadre de leur travail, Secteur Femmes : 54 %. Plus de la moitié des répondants accèdent à Internet à partir du bureau. Toutefois, 6 % d’entre eux identifient le domicile comme principal lieu d’accès. Le courrier électronique et la recherche d’information sont les utilisations les plus populaires chez une forte proportion de répondants.
Ainsi, Internet est devenu un outil privilégié en éducation populaire et en alphabétisation populaire. Les participantes et participants, en apprivoisant ce nouveau mode de communication, acquièrent une fierté qui constitue le meilleur levier pour contrer l’exclusion et leur ouvrir de nouvelles perspectives.
Avec les jeunes, l’utilisation d’Internet permet de proposer des projets rassembleurs qui favorisent la réalisation de projets concrets dans un cadre collectif. De plus, Internet permet d’ajouter une dimension internationale : mettre en contact des jeunes de divers pays qui peuvent ensemble concevoir des projets communs et découvrir différentes réalités.
Les TIC permettent de rendre plus accessibles les banques de données et les contenus, de créer des ressources documentaires appropriées aux besoins des groupes et largement accessibles.
Plusieurs réseaux de diffusion ont émergé, en particulier parmi les groupes de femmes, et permettent de mieux informer, de partager des ressources, de mobiliser et de proposer des actions concertées sur des enjeux sociaux.
Les nombreux projets d’accès public au sein des groupes communautaires ont contribué à créer de nouveaux outils d’action communautaire et d’éducation populaire. Ils deviennent des lieux rassembleurs qui amènent de nouvelles personnes à découvrir les ressources communautaires, contribuent à la création de groupes qui partagent les mêmes intérêts et les mêmes préoccupations et ouvrent de nouvelles perspectives.
Les activités du projet de Communautique Inforoute – Points d’accès – Initiation de la population constitué de petits points d’accès dans près de 80 organismes, répartis dans 9 régions du Québec, où des activités d’initiation aux TIC sont offertes, démontrent à quel point les organismes communautaires peuvent jouer un rôle majeur dans la lutte contre la fracture numérique. L’éducation populaire et l’action communautaire sont les moyens les plus sûrs d’intégrer appropriation des TIC et lutte contre l’exclusion.
Groupe d’âge | Pourcentage de participants |
---|---|
Moins de 18 ans | 2 % |
De 18 à 30 ans | 7 % |
De 31 à 40 ans | 16 % |
De 41 à 50 ans | 28 % |
De 51 à 60 ans | 19 % |
Plus de 60 ans | 28 % |
Sexe | Pourcentage de participants |
---|---|
Femmes | 70 % |
Hommes | 30 % |
Occupation | Pourcentage de participants |
---|---|
En emploi | 19 % |
Étudiant | 3 % |
Sans-emploi | 44 % |
Retraité | 34 % |
Des besoins bien identifiés
Les résultats de l’enquête et les discussions de mai 2001 ont permis d’identifier les besoins des groupes communautaires en ce qui a trait à l’appropriation des TIC ainsi que les difficultés et les multiples obstacles rencontrés.
On veut connaître l’évolution de l’appropriation des TIC
Un besoin exprimé à maintes reprises est celui d’avoir accès à l’information sur les expérimentations de façon à favoriser la multiplication des expériences et soutenir l’appropriation des TIC. On souhaite une veille afin de connaître les avancées, les besoins, les difficultés rencontrées afin de favoriser une véritable appropriation sociale des TIC.
La nécessité d’une infrastructure et d’équipement adéquat
Les groupes doivent continuellement résoudre le casse-tête que pose le maintien d’une infrastructure matérielle adéquate alors que les ressources financières sont insuffisantes. De plus, dans certaines régions le maintien du branchement s’avère coûteux et les services inadéquats. Aussi est-il peu surprenant qu’un des besoins identifiés soit celui d’infrastructures technologiques et de communication adéquates.
L’enquête révélait que, même avec des ressources très limitées, les groupes tiennent à développer l’accès à la population. Aussi y a-t-il besoin de soutien pour développer un accès adéquat avec des ressources adéquates pour favoriser l’initiation des populations les moins nanties.
L’accès à la formation
Autre exigence, ces développements exigent une formation continue pour s’adapter aux changements constants. L’accessibilité des TIC dépend aussi de la capacité de se doter d’une formation adéquate et de la tenir à jour.
Les ressources pour développer des contenus
Une pleine appropriation d’Internet suppose la capacité de contribuer au contenu et d’avoir accès à un contenu répondant aux besoins. Or, il existe très peu de ressources qui contribuent de façon continue à développer et tenir à jour des sites Web, des bases de données, de la documentation, etc.
Un grand besoin de ressources techniques
Enfin, partout, on souligne les besoins de ressources techniques adéquates pour répondre aux problèmes constants qui accompagnent l’utilisation de l’informatique. Les groupes ont besoin de ressources expérimentées d’où l’idée de la création de groupes de ressources techniques dans chaque région, mais aussi de formation pour être en mesure de gérer ces situations.
L’importance de lieux d’échange et de mise en commun
Les participantes et les participants aux discussions de mai s’entendaient pour rappeler qu’Internet n’est pas en soi un outil solidaire, qu’il faut une volonté des groupes de créer des liens. On s’entend sur la nécessité d’éviter l’utopie technologique. Internet ne lèvera pas tous les freins, les craintes ou les difficultés existantes dans le milieu communautaire. On souhaite plutôt que les TIC soient mises au service des regroupements en tant qu’outil pour l’action et éviter de faire l’inverse, soit de se mettre au service des TIC.
Les perspectives d’action
Pour donner suite aux enjeux soulevés, Communautique proposera au cours des prochains mois un projet de plateforme visant à formuler et faire connaître les conditions nécessaires au développement de l’Internet citoyen :
Parmi celles-ci,
- La reconnaissance de l’accès aux TIC, comme levier pour la lutte contre la pauvreté et l’exclusion
- La nécessité de politiques cohérentes et conséquentes qui considèrent l’accès à Internet et à son contenu comme une dimension de reconnaissance du droit à la communication, comme un service d’utilité publique essentiel pour les individus comme pour les collectivités;
- Des politiques et programmes qui reconnaissent et encouragent la place et le rôle du milieu communautaire et de l’économie sociale dans la démocratisation de la société de l’information
- Des mesures concrètes pour la mise en place d’un financement conséquent et durable des initiatives et projets citoyens