Lettre d’opinion
Un Québec numérique, qu’attendons-nous?
Par Mario Asselin, René Barsalo, Michelle Blanc, Cyrille Béraud, Sylvain Carle, Michel Cartier, Monique Chartrand, Michel Chioini, Jean-François Gauthier, Vincent Gautrais, Hervé Fisher, Claude Malaison et Monique Savoie
N.B. Les auteurs signent cette lettre à titre individuel et forment un groupe de 13 étonnés
Le Québec glisse vers le bas dans l’échelle de la compétitivité parce que nos voisins, provinces et pays, se sont donnés une vision d’avenir pour tirer collectivement tous les bénéfices des nouveaux modes de communication et de l’économie immatérielle sous la forme d’un Plan numérique.
Tous les rapports concernant l’autoroute de l’information, du rapport Berlinguet de 1995 au dernier rapport Gautrin, ont été tablettés ou risquent de l’être.
Depuis 30 ans nous n’entreprenons que des actions individuelles et souvent désordonnées, ce qui vaut aussi pour les 23 ministères, et plus de 200 organismes publics qui sont autant de silos. Nous investissons dans le béton, dans l’avoir et trop peu dans le savoir.
Le Québec vit actuellement une série de crises, la perte de confiance des citoyens envers leurs institutions et leurs dirigeants, les crises économiques qui grugent notre bien-être ou nos crises d’identité, etc.
Nous sommes aujourd’hui une société tellement divisée que nous ne pouvons plus établir de consensus concernant nos projets d’avenir. Ces crises surviennent notamment parce que nous passons d’une ère industrielle vers une autre qui devient postindustrielle. Parce que nous perdons tous nos points de repères, nous devenons inquiets, comme d’ailleurs la plupart des autres sociétés de notre planète.
Nous basculons vers une société de la connaissance où l’information devient notre matière première et l’Internet la place publique où se prennent nos décisions. Nous vivons des passages difficiles parce que nous allons d’une démocratie élective vers une démocratie participative ; d’une majorité silencieuse aux lucides, indignés et carrés rouges; d’une individualisme forcené vers une responsabilisation collective; d’une civilisation du livre vers une civilisation d’images-écran; de la loi de l’offre à celle de la demande, etc.
Nos six demandes :
- Créer une Agence du numérique qui relèverait de l’Assemblée nationale (comme la Société Hydro-Québec qui a pour mission de gérer toutes les questions énergétiques). Cette agence relèverait du Parlement et devrait transcender les partis politiques et le pouvoir exécutif.
- Co-construire un Plan numérique avec l’ensemble des acteurs et la population de toutes les régions du Québec, capable de développer à la fois l’économie, la culture et les savoirs, dans notre société qui doit s’adapter, comme toutes les autres, au XXIe siècle.
- Créer un Conseil national du numérique qui serait formé des représentants reconnus de l’ensemble des secteurs d’activités et de la société civile. Il serait obligatoirement consulté par le Parlement et les ministères pour toutes questions concernant le développement du numérique sur le territoire québécois. Nous pensons au modèle duConseil supérieur de l’éducation à l’intérieur de la Loi sur l’instruction publique…
- Créer un forum de participation citoyenne indépendant du gouvernement, soutenu par celui-ci et une fondation par exemple, avec une gouvernance assurant sa neutralité. Un modèle inspirant : NESTA en Angleterre ouhttp://www.worldwatch.org/
- Investir prioritairement dans le savoir, et non dans l’avoir, c’est-à-dire principalement dans les transferts et la mutualisation des connaissances.
- Investir aussi dans le déploiement de réseaux à très haute vitesse (100 Mb symétrique et plus) et gérer selon les règles « OpenAccess » afin de rendre nos infrastructures interopérables, ouvertes et performantes pour communiquer entre nous et avec l’ensemble des pays avec qui nous entretenons des relations politiques, sociales et économiques.
Aujourd’hui, nous investissons dans le passé en empruntant sur l’héritage que nous allons laisser à nos petits-enfants : leur futur. Allons-nous demeurer encore longtemps étonnés devant notre peu d’envergure et de prévoyance ? Qu’attendons-nous?